Si le problème n’est pas traité à la base, certains pays du Sahel comme le Burkina Faso verront tous leurs efforts en matière de développement humain durable anéantis, compromettant ainsi l’atteinte de l’ODD 16 (paix, justice et institutions efficaces) et partant, l’ensemble des autres ODD ; la paix et la sécurité étant les bases du développement durable. En ce qui concerne le Burkina Faso, longtemps reconnu comme pays de paix et de stabilité dans la sous-région, le pays est depuis 2014 victime d’actes de violences de toutes sortes ; violences intercommunautaires extrémistes, pillages et incendies, prises d’otages, attaques terroristes, extrémisme religieux violent sont devenus le quotidien des populations burkinabè. Selon diverses sources concordantes , de l’année 2015 à 2018, le nombre d’actes de violence s’est multiplié par 32.
Afin de maîtriser le problème, Burkina Faso s’est inscrit dès le début, comme préconisé par l’ONU dans l’approche dite de prévention qui se fonde sur la thèse selon laquelle la violence ne vient pas du néant mais a des origines plausibles à identifier. La pauvreté, la corruption, l’injustice et l’oppression nourrissent le ressentiment (Collovald et Gaïti, 2006 ; CEIDES, 2017). La fragilité de l’Etat et l’absence de libertés civiles sont des facteurs prépondérants de l’émergence de violences politiques et extrémistes (CEIDES, 2017 ; PNUD, 2017, GRAAD 2018) .
Sans surestimer la relation entre extrémisme violent et facteurs économiques, une certaine littérature indique que le chômage et la sous-occupation sont parmi les facteurs générateurs de l’extrémisme violent, tout comme le ressentiment d’absence d’avenir, le manque d’opportunités, le sentiment d’enfermement, le désir de l’ailleurs, etc. (McMurtry et Curling, 2008 ; PNUD, 2017 ; Gninafon, 2018). Une mauvaise gouvernance, la non-satisfaction des besoins fondamentaux que devrait fournir l’Etat (éducation, santé, prospérité) et des expériences de discrimination et d’exclusion peuvent être réunies sous la même bannière de la fragilité, de même que le manque de participation politique et la répression croissante des personnes ayant des convictions minoritaires (UNOCA/UNOWAS, 2017).
Partant d’une étude réalisée avec 717 entretiens, le PNUD montre que les individus ayant rallié des groupes extrémistes violents sont au départ privés de la possibilité d’accéder à l’éducation et donc à un horizon d’opportunités plus grand. Du fait d’avoir grandi dans un environnement où l’incidence de la pauvreté multidimensionnelle était supérieure à la moyenne nationale et d’avoir connu le chômage et le sous-emploi, les enquêtés qui se sont ralliés aux groupes extrémistes violents ont identifié les « facteurs économiques » comme l’une de leurs principales sources de frustration et de récrimination. En analysant le comportement des jeunes de Zinder au Niger sur la base de focus groupe, l’étude de l’OIM réalisée en 2017 tire la même conclusion.
Dans son rapport de septembre 2017, l’International Crisis Group pense que l’extrémisme violent qui s’est s’installée dans le Nord du Burkina Faso est en fait un produit des réalités sociopolitiques et culturelles de la province du Soum. Il reflète les doléances de la majorité silencieuse de la population qui ne détient ni le pouvoir politique, ni l’autorité religieuse. Selon ce groupe, Il ne s’agit donc pas d’une contestation islamiste de la modernité, mais bien d’un rejet de traditions qui perpétuent une société figée, en manque d’opportunités nouvelles et productrice de frustrations.
Seulement, selon un autre pan de littérature, ces faits ne sont pas clairement établis. Jusqu’alors, il n’y a pas de consensus sur ce que l’on peut qualifier d’extrémisme violent. Même le plan proposé par les nations unies n’a donné de définition claire (Naz Modirzadeh, 2016 ; HCNU, 2016). A ce sujet, Naz Modirzadeh (2016) soutient que les questions suivantes restent posées « Qu’est-ce que la lutte contre l’extrémisme violent ? Qu’est-ce qui n’en fait pas partie ? Les preuves sur lesquelles s’appuient les approches de lutte contre l’extrémisme violent sont-elles suffisamment solides ? Que perd-on en allouant des ressources à la lutte contre l’extrémisme violent et en les détournant par le fait même d’autres initiatives ? ». Ainsi donc, une seconde partie de la littérature s’inquiète donc de voir les États et les institutions « se lancer tête baissée » dans la création de programmes de lutte contre l’extrémisme violent alors que de nombreuses zones d’ombre subsistent et restent à éclairer. Selon J.M. Berger (2017), les recherches menées jusqu’alors n’ont réussi qu’à montrer que les corrélations entre le terrorisme et les facteurs de développement structurels (un taux de chômage élevé ou un faible niveau d’éducation, par exemple) n’étaient pas très claires et « …qu’elles étaient même souvent inexistantes… ».
Mais, dans quelle mesure et à quel degré cette littérature s’applique au pays comme le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Kenya, etc. C’est la question que se pose l’atelier organisé du 25 au 26 juillet 2019 à Cotonou. Il regroupe environ une cinquante de participants et participantes provenant de diverses organisations de chercheurs, d’institutions privées et de structures publiques qui s’organisent pour contribuer au débat et produire des évidences rigoureuses selon leurs pays respectifs. Dans le point de mire de cet atelier, la mise en œuvre avec l’appui du CRDI. de recherches rigoureuses fondées sur des analyses statistiques et économétriques dont le but final est d’utiliser les évidences pour informer les politiques actuelles en la matière en vue de contribuer à la construction de sociétés plus pacifiques en Afrique de l’Est et de l’Ouest.